Sur deux respirations conjointes.
Sa tête posée sur ma poitrine, j’écoute les conjonctions de ma respiration et de la sienne. Il semble que ce moment pourrait durer éternellement. Nos souffles se mêlent, s’emmêlent, se démêlent. Nos haleines alternent sans peine. Elles forment des arches qui quelquefois coïncident et quelquefois se chevauchent. On dirait une paire de dés jetés par une main invisible sur la peau chaude et mouvante de mon torse, formant à chaque fois une combinaison nouvelle, fruit du hasard et de la nécessité – selon cette expression attribuée à Démocrite, un philosophe de la Grèce antique pour qui l’univers n’était constitué que d’atomes et de vide. Nos respirations se suivent et ne se ressemblent pas. Elles sont à la fois autonomes et interconnectées. Hasard de notre conjonction momentanée, de cette étonnante aubaine de tendresse qui fait que nous pouvons nous endormir l’un contre l’autre, en toute sécurité – mais aussi nécessité impérieuse de ce corps de se maintenir en vie, en respirant envers et contre tout. C’est pourquoi nos deux souffles ne sont pas vraiment mêlés, mais enchevêtrés, tressés d’espace et de vide - fomentés par ce qui les meut et les pétrie, les attise et les éteint - ce rien intangible qui est à la fois la source et le point aveugle du langage. A peine un évènement : juste des arches de souffle s’enjambant l’une l’autre au grès du soulèvement machinal de nos cages thoraciques, glissés sous le vent de nos côtes, actionnés par ce mouvement vital de sans cesse ventiler nos carcasses. Ni le souffle premier – celui du cri primal - ni le dernier – celui par lequel s'achèvera notre agonie – mais le souffle de tous les jours, un parmi le million d’autres qu’il nous sera donné d'effectuer d’ici là. D’ailleurs il s’agit moins de souffle que de soupirs, tant nos respirations sont proches de l’état zéro de l’échange gazeux, oscillant à la frontière ondulante du sommeil, menaçant à tout moment de basculer dans l’autre monde, là où la conscience n’a plus prise. Qui va s’endormir en premier ? On ne sait. Le marasme confus du sommeil brouillera bientôt cette question, comme si la marée montante effaçait d’un coup ce que les jambages imbriqués de nos souffles conjoints avaient fugacement écrit sur le sable.
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