samedi 11 février 2023

Cette nuit j’ai rêvé de ma mère

Cette nuit j’ai rêvé de ma mère. C’est rare. Le décès récent de mon père et les turbulences affectives qui ont suivis ont semble-t-il pris toute la place dans ma « matière de deuil », depuis ces deux dernières années. Mais enfin Maman est revenue, telle qu’elle était durant sa vie - et non pas telle qu’elle était devenue durant ses dernières années d’agonie psychique.

Elle participait à un groupe de parole. Différentes personnes disparates se trouvaient là, pour la plupart inconnues, assises sur des chaises disposées en cercles. J’étais également présent, parmi les participants. Je veux dire : bien que ma mère et moi soyons assis, non pas côte-à-côte, mais en proximité l’un de l’autre – nous participions tous les deux à ce groupe de paroles sans nous être concertés, peut-être même par hasard. C’est du moins la certitude que me donnait ce rêve.

C’était mon tour de prendre la parole. Je tenais à la main une aiguille à coudre avec un brin de fil passé dans le cha – mais c’était un objet à montrer comme un exemple, pas du tout un outil que j’étais en train d’utiliser. Je me suis entendu dire, comme s’il s’agissait d’attester d’un fait décisif : « ma mère cousait » - et aussitôt je lui ai jeté un coup d’œil inquiet. Je craignais que ma formulation au passé ne lui fasse comprendre qu’elle était morte. Mais ce ne fut pas le cas. Elle m’a écouté avec intérêt et a ajouté en souriant – comme si elle n’avait pas conscience que ma mère c’était elle, ou bien comme si cela n’avait pas la moindre importance – « Moi aussi, ma mère cousait ». J’ai aussitôt senti un grand soulagement.

Que cette mère qui cousait ce fût elle – que sa mère a elle qui cousait fût ma grand-mère – tout cela semblait désormais hors de propos. Le lien de filiation n’était pas nié, il était simplement ramené à un degré insignifiant. Si je m’étais tourné vers elle pour lui dire : « mais maman, cette mère qui cousait, c’est toi ! » - elle m’aurait répondu : « Mais je le sais bien, gros bêta ! ». Simplement, cela n’avait plus d’importance. Nous étions tous deux membres de cette communauté disparate, sans qu’aucun lien de parenté ne subsiste entre nous. Mais nous étions reliés – grâce à cette aiguille prête à l’emploi que je tenais entre mes doigts – liés par le faire, le tissage des relations, l’assemblage dans le droit fil de grands pans de nos vies disparates, le faux-filage des émotions - la reprise, l’ajustement, la réparation des accrocs de la vie - nous étions liés par les mots.

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