Telles des gemmes à l'éclat inaltérables, la lumière et chaleur luisent inopinément dans le cœur obscur de l’hiver. Quel plaisir de se surprendre à penser, en rentrant chez soi : « hum ! il fait bon ici » ! Et comme on jouit d’un bon feu de bois qui nous rôti le visage et les mains, tout en laissant les parties du corps les plus éloignées du foyer s’engourdir de froid ! Comme elle étonnante, cette chaleur compacte de l’animal qui vient se lover entre nos doigts, tandis que, assis sur la deuxième marche de l’escalier, nous nous nous escrimons à dénouer les lacets récalcitrants de nos chaussures.
Ou bien encore : on marchait, et voilà qu’une percée de soleil nous illumine tout à coup le visage, révélant toutes les traces des vitres de la fenêtre. Surpris, ravi, un peu effrayé aussi, on s’immobilise, les yeux réduits à deux fentes, tandis qu'une pâte épaisse de chaleur s’étale abondamment sur notre visage, intégralement absorbée par le moindre pore de notre peau. Cet éblouissement spontané se résorbe presque aussitôt, à la faveur d’un voile terne glissant sur le monde qui reprend alors son aspect normal, recouvrant l’apparence habituelle d’une succession de choses dont chacune est aisément identifiable comme chose en soi, clairement dissociée des autres choses – nous laissant interloqué et un peu hagard d’un tel revirement de situation.
Tous ce qui existe sous les cieux austères de l’hiver recherche avec avidité la présence de la chaleur et de la lumière. Les feuilles des plantes d’intérieur reluisent à l’envie, enfiévrées de photosynthèse. Dehors, dans les branches nues des arbres, j’observe chaque matin comment les vanneaux adoptent les postures propices à utiliser le moindre rayon de soleil pour réchauffer leurs petits corps, sans en perdre une miette. Même la roche jubile des subtiles tiédeurs venues caresser sa surface rugueuse, ravie que cette douceur inespérée lui procure les quelques degrés nécessaires à la purge subreptice de son trop plein d’eau glacée. Plus prompte et mobile que le rocher, la terre épaisse se désengorge vite fait, entre deux averses inopinées. Les fumées de vapeurs d’eau montent des terres intrinsèquement froides. Le moindre éclat lumineux est prétexte à des fêtes. La chaleur et la lumière sont des exsudations sucrées que sa grande langue glacée de l’hiver lèche avec gourmandise.
Il n’est pas encore temps, bien sûr, mais on sent la vieille nature attentive à la moindre variation de température, guettant avec infiniment de patience – on pourrait même parler de sagesse - le moment opportun pour réanimer toutes les larves, œufs, graines, cocons, chrysalides, corps recroquevillés en hibernation dissimulés dans le moindre repli de sa peau rugueuse et parcheminée. Le grand froid expurge, tandis que le moindre filet de chaleur console et suture les plaies de l’hiver.
Voilà ce qui s’agite dans mon esprit alors que, l’haleine en buée, les articulations des doigts rougies et brûlantes, je reviens d’une ballade au bord de la rivière, transi et pourtant en sueur sous les couches de vêtements comme carrossés de froid. Je sens la bonne chaleur de la pièce, je m’assois sur une marche de l’escalier pour ôter mes chaussures, prodigue quelques caresses au chat, allume le feu préparé du matin et me mets aussitôt à écrire. Chaque cellule de ma peau vit à l’unisson de ces infimes mais profonds bouleversements.
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