mardi 11 novembre 2025

Sur les pensées. 

Le message essentiel que je voudrais faire passer est celui-ci : n'entretenez pas vos pensées ! N'entretenez pas vos pensées ! Trouvez tous les moyens possibles pour contrecarrer cette détestable habitude d'entretenir vos pensées ! Débarrassez vous au plus vite de cette propension à soliloquer avec vous-mêmes ! Recouvrez votre silence intérieur ! Faites taire les voix en vous qui s'adressent à vous-mêmes comme si vous étiez un autre ! Il est vrai que lorsque nous étions enfants, nos pensées formaient le contre-chant spontané du monde dont nous étions imbus jusqu'à l'ivresse. Elle étaient des balles que nous jetait le monde et que nous saisissions au bond. Nous n'en sommes plus là. Avec le temps ce jeu du "comme si" s'est emballé. Il prolifère jusqu'à nous faire vivre l'enfer sur terre. Nous sommes bouclés à double tour en nous-mêmes, incarcérés dans un carcan de pensées tournant en boucle, parfois jusqu'à la folie. A force de ressasser des futilités, de rabâcher inlassablement nos idées fixes, nous avons perdu cette sensation enfantine d'être de plain-pied avec le monde. A force de tirer sur nos vieilles ficelles (et même si nous n'en sommes plus les dupes) leurs nœuds coulants nous étrangle jusqu'à ce que mort s'en suive. Les pensées n'ont rien à voir avec ce que nous sommes ! Elles n'ont aucune réalité, ni en nous ni à l'extérieur de nous ! Tout ce qui existe ne possède que trois caractéristiques : l'impermanence, la capacité à pâtir et l'absence d'égo. Vous ne faites pas exception à cette règle universelle ! Vous n'êtes pas différents d'un nuage, de la pâquerette ou du parfum des lilas : impermanent, affectable et sans ego. Ne négligez pas la lumière de votre esprit ! Tout ce qui se passe dans votre esprit est de la première importance ! Ce n'est pas anodin ! Ce n'est pas fortuit ! Ne laisser pas la friche des pensées proliférer ! Faites machine arrière avant que vos schémas mentaux ne soient trop solidifiés pour être abolis. N'entretenez pas vos pensées ! N'entretenez pas vos pensées ! Laissez les émerger de nulle part et s'estomper d'elles-mêmes ! Tout ce qui advient dans votre esprit est de la première importance ! C'est là que se trouve l'origine du monde dans lequel vous vivez ! Mettez tout en œuvre pour dissoudre les barreaux de votre prison mentale, tant qu'il en est encore temps ! Agissez maintenant !

mardi 7 octobre 2025

 Sur le sens des mots

Disons le d'emblée : il est presque impossible de dire vraiment ce qu'est un mot. Si l'on essaie la formulation suivante : une unité minimale de sens – il faudrait aussitôt préciser qu'il s'agit d'une unité sonore, étant entendu que les écrits ne sont que la transcription (optionnelle) d'un langage oral. Il faudrait ensuite rappeler qu'un mot n'a de sens que compris au sein d'une langue, c'est-à-dire d'un corpus d'autres mots qui signifient en commun. Le mot en soi n'existe pas – sauf dans une acceptation mystique du terme (qu'on pense par exemple au verbe qui « s'est fait chair » de l'eschatologie chrétienne, ou bien aux mantras de la traditions hindou, dont les sons sacrés ont un effet direct sur le mental des pratiquants, qu'ils en saisissent ou non le sens). Bref, on le voit, chercher à établir une définition précise du mot « mot », c'est s'embarquer dans un voyage au long court dont les méandres pernicieux risquent à tout moment de nous enliser dans des digressions oiseuses propices aux ratiocinations tatillonnes... 

Essayons cependant. Commençons par la forêt, nous nous approcherons des arbres ensuite. On l'a dit : les mots existent, préexistent et subsistent dans cette terre familière et lointaine formant terreau à nos pensées : la langue. Une terre sans substance et pourtant granuleuse, généreuse portion de brunisol riche en sels minéraux, c'est à dire longuement constituée de la décomposition d'une multitude de langues anciennes. En utilisant des mots nous mâchons aussi les morts, la multitude de morts qui nous ont précédés dans cette rumination langagière.

             Les mots, alliages de sons et de sens : le son.

Approchons nous maintenant d'un arbre en particulier. Et disons qu'un mot, c'est l'alliage (transitoire) de sons et de sens. Pas n'importe quels sons cependant : chaque langue en sélectionne une série exclusive pour exprimer ce qu'elle a à dire. En enregistrant les babils des bébés, les linguistes ont constaté qu'ils peuvent émettre n'importe quel son – on pourrait dire qu'ils ont la capacité de parler toutes les langues du monde, même les plus éloignées de leur culture de naissance. C'est progressivement qu'ils commencent à reproduire les phonèmes entendus autour d'eux, et par voie de conséquence à oublier les autres. Une fois le processus enclenché, il est irréversible. D'où la difficulté pour les ex-bébés que nous sommes à produire – voire même quelquefois à entendre – des sons exogènes à nos langues dites natales.

Là encore, un son n'existe pas en soi. Chaque son d'une langue se définit par opposition aux autres de son système : le son « p », c'est le son qui, en français par exemple, n'est ni « t » ni « k ». Notre oreille française a appris à dresser une paroi étanche entre ces sons, de manière à ce qu'il n'y ait pas d’ambiguïté entre un son qui est un « p » et un autre qui ne l'est pas. En sanskrit, par exemple, c'est différent : il existe notamment un « ṭ » que nous ne connaissons pas en français, ce qui change complètement l'ensemble des rapports d'opposition entre occlusives, tandis que certains de « nos » sons n'existent pas, comme le son « j ». 

L'image qui me vient à l'esprit, pour illustrer ce fonctionnement systémique, c'est celle d'un billard. La bordure de feutrine sépare la surface de jeu de ce qui est hors-jeu. La langue c'est le jeu, le hors-jeux, c'est le non-sens. Aucun boule de signifie en soi : on ne joue jamais une boule seule, mais toujours à minima une boule en entrechoque une autre. A chaque coup, les boules signifient par leurs valeurs et les distances qui les séparent mutuellement les unes des autres. Elles forment une structure entre elles, toujours recomposée, en perpétuelle évolution. Voilà pour le principe du système de la langue. 

             Les mots alliages de sons et de sens : le sens.

Nous avons parlé (un petit peu) du son, parlons maintenant de la seconde partie de cette alliage : le  sens. Là encore, l'unité se distingue par opposition au tout. Ce qui nous apparaît à l'esprit lorsque nous entendons le son « arbre », c'est d'abord une frontière délimitant l'arbre de tout ce qui n'est pas l'arbre : la forêt, les feuilles, le buisson, les oiseaux, etc – en fait, de tout ce qui peut nous venir « d'autre » à l'esprit au moment du jaillissement de la langue.

Il est sans doute plus probant de s'accorder sur ce que n'est pas un arbre plutôt que sur ce qu'il est : il serait naïf de croire que nous avons tous la même chose en tête lorsque nous entendons le mot « arbre ». Notre propre conception d'un arbre dépend de notre plus ou moins proche proximité avec certains d'entre eux, de notre histoire personnelle, de la zone géographique où nous vivons – l'important étant de convenir entre nous que toutes ces visions différentes désignent bien la même chose : un arbre.

On le voit, le « sens », c'est un travail de pensée. On ne saurait assez insister sur l'importance de ce qui semble couler de source : sans la pensée les mots ne veulent rien dire. Si les mots sont garants du sens qu'on leur octroie, lorsque la pensée est absente, ils prolifèrent dans le chaos. Il ne sont plus que des assemblages de sons disparates. Dès lors, c'est la folie qui nous guette. Beaucoup d'entre nous tentent d'exorciser cette menace toujours imminente en s'adonnant à toutes sortes de jeux de langues, dont certains poussent jusqu'à l'extrême l’incongruité de leurs assemblages ; virelangues, glossolalie, contrepèteries et autre largonji. D'autres prennent un plaisir bizarre à compléter la grille de mots croisés de leur journal favori. Tous sont des joueurs de la langue, c'est-à-dire des jeteurs de sorts essayant par divers moyens de contenir hors des mots la folie qui fermente dans la langue. J'inclus bien sûr dans cette galerie de doux excentriques les écrivain.es de tout poil, poètes, scribouillards, gâcheurs de papier et autres rimailleurs invétérés.

On l'a vu, le sens des mots ne nous est pas tombé tout cuit dans le bec – il s'est construit à force d'interactions, d'essais, de tâtonnements, d'ajustements et de mues. Combien d'effort pour s'approprier ne serait-ce que les rudiments du langage commun aux adultes ! Il a fallu œuvrer pour acquérir le sens des mots – et, en fait, c'est un travail que l'on remets toute sa vie sur l'ouvrage  – du moins celles et ceux qui ont la volonté de ne pas cesser de grandir sous prétexte qu'ils sont devenus des adultes ! 

Inspirons nous de la ténacité des enfants à traquer ce qui, dans le ruban sonore qui les baigne, forme les plus petites unités de sens, afin de pouvoir les combiner ensuite entre elles. Pour citer un exemple issu de mes lointaines études en linguistique, l'un d'entre eux avait trop découpé le mot « médicaments » qu'il avait divisé en "mes" + "dicaments". Mal lui en pris ! Les adultes se sont copieusement esclaffés lorsqu'il a tenté devant eux cette formulation : "maman doit prendre ses dicaments"... Ce qui était valable pour « mes » + « chaussons » n'était pas approprié pour "médicament". Il a aussitôt rectifié son erreur en ressoudant l'expression litigieuse en un mot insécable (on ne l'y reprendra plus, du moins pas sur ce mot-là!).

L'apprentissage de la langue est une entreprise visant à donner du sens à ce qui à priori n'en a pas. C'est une démarche qui dépasse de beaucoup les langues, et même les langages. Tous les animaux traquent les répétitions inhérentes à leurs écosystèmes pour déterminer des causalités récurrentes leur permettant de se forger un comportement adapté à leurs environnements. Et pas seulement les animaux : on ne peut qu'être stupéfait de la force d'invention des végétaux dans ce domaine. Loin d'être régies par des automatismes, les plantes savent faire preuve d'adaptation, d'association, de communication et même de mémoire – termes qu'on ne songerait certes pas à leur associer à priori, tant nous méconnaissons la richesse des êtres vivants non dotés de système nerveux central.

             Les mots alliages de sons et de sens : l'alliage.  

Un mot, donc, alliage de sons et de sens, co-présence, co-création - on pourrait dire : coexistence, comme les mousses formées à partir de l'hybridation d'une algue et d'un champignon. Le sens n'est jamais donné une fois pour toutes – même les dictionnaires, dont la raison d'être semble l'immuabilité, évoluent pourtant. Communiquer avec l'autre, c'est toujours, éternellement traduire – donner du sens, mais aussi adapter le sens, modifier le sens, compléter le sens, voire détourner le sens.

La moindre nuance de sens que nous percevons dans l'emploi d'un mot ordinaire vient se rajouter à la gamme de toutes celles que nous lui connaissions déjà. C'est un travail mental incessant. Être locuteur d'une langue, c'est tisser les fils du son et du sens pour réaliser de nouveaux motifs à partir de modèles anciens – selon le principe du thème et variations, pour employer cette fois une métaphore musicale.

Ce n'est pas par hasard que cette figure de style s'invite dans ce texte. Le langage est par essence métaphorique, même si personne ne semble en mesure de dire ce dont il s'agit. L'embarras des linguistes pour donner une définition claire de la métaphore est assez réjouissante. On trouve de tout : "analogie implicite entre deux éléments", "rapprochement de deux éléments qui ont au moins en commun un élément", "emploi d'un terme concret pour définir un terme abstrait" "figure de style permettant de comparer des choses sans élément de comparaison" – j'en passe et des meilleures.

Pourtant, dans la pratique (je veux dire dans la vie courante, pas dans les livres) tout le monde fait usage de métaphore, et même avec grand plaisir. Les métaphores ajoutent un sens supplémentaire à nos phrases, un surplus de signification souvent, amusant, excentrique voire même subtilement subversif. Je pense par exemple à cette réplique désabusée de la fille d'un ami, à qui j'essayais de faire comprendre qu'il serait peut-être judicieux de mettre un peu de liant dans leurs relations : "Cela ne servira à rien de toutes façons. Mon père est un dinosaure !". Je me suis promis qu'un jour je lui ferais écouter la chanson d'Anne Sylvestre sur les dinosaures. 

La pensée est un greffon – un parasite des mots - une plante épiphyte phagocytant ses consœurs pour s'épanouir, comme le font le lichen, les orchidées ou le philodendron. La pensée est la force de projection du langage, sa structure interne, son fil directeur. Les mots s'y mêlent comme la couleur : on presse les tubes et toutes sortes de propositions chatoyantes surviennent. Lorsqu'on écrit, il faut un art consommé de la palette pour ne pas trop en mettre. Les mots donnent vie à l'idée, soit, mais ils la transforment aussi, l'influencent, et parfois même la dénature. 

La pensée ne précède pas les mots, telle un schéma directeur tracé à l'avance sur un plan. On pourrait croire qu'on pense d'abord et qu'ensuite on verbalise. En réalité, on pense déjà avec des mots (quand ce ne sont pas les mots qui nous pensent). C'est un principe cher à toutes les dictatures : les autocrates savent qu'inculquer de force des mots dans l'esprit des gens modifie leurs pensées. Il faut que nous gardions cela en mémoire, dans la perspective de jours sombres qui nous attendent. 


Comme toujours lorsque je me risque à écrire sur la langue, j'ai l'impression de n'avoir fait que tourner autour de mon sujet – si ce n'est d'être passé à côté. L'arc en ciel est bien là, merveilleusement ostensible, mais lorsque j'aspire à atteindre le chaudron d'or qui se trouve à son pied, il s'éloigne à mesure que j'avance. J'ai cru avoir touché un peu d'or lorsque ont sonné dans mes phrases les mots « alliage », « symbiose » ou « hybridation ». J'ai cru avoir énoncé quelque chose de probant sur les mots lorsque j'ai posé qu'ils n'existaient pas en dehors de leur interaction sur le moment, à rebours des philologues qui tentent d'immobiliser la langue en l'enracinant dans un terreau identitaire.

Et pourtant, en relisant ces lignes, je m'aperçois qu'elles bruissent plus qu'elles ne signifient. Le peu de contenu qu'elles recèlent se révèle d'une platitude désespérante, une fois résorbée la joie effervescente de l'écriture. Quoi qu'en fasse, les mots échappent toujours à nos tentatives de les mettre en mots. Il faut les aborder de biais, jamais frontalement. Ils sont, comme le dit le poète Gustave Roux, ces « étoiles qui s'évanouissent d'un regard trop fixe, mais dont un glissant coup d’œil saisit l'étincelante présence ». 

Sur le même sujet, on peut lire : 

  • Sur la peau des mots, publié le 24 septembre 2025.  
  • Sur les interactions, publié le 12 août 2023.  

 

mercredi 24 septembre 2025

Sur la peau des mots

Hommage incantatoire aux
mots#échafaudés à partir du néant
(nuages se défaisant à mesure qu'ils se forment)
mots#rustine étanchéifiant la pluie
volte-face d'un sens supplantant l'autre
 
mots#miroirs se reflétant dans le miroir
chaque nuance de l'acception d'un terme
l'atténuant l'amplifiant le modifiant subtilement
jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un mirage de sens
transitant dans des nuages d'usage
 
hommage giratoire aux
mots#étoiles qui s'évanouissent
d'un regard trop fixe mais dont un glissant
coup d’œil saisit l'étincelante présence
(Gustave Roud)
 
et qui ne cessent de rebiquer
de nous la faire à l'envers
remonter le courant du
sens dessus dessous
tête-à-queue heuristique
provoquant force pourléchage
de babines gourmandes lorsqu'une
de leurs saveurs se trouve
inattendue sur notre langue
 
hommage prémonitoire aux
mots#turbans camouflant la greffe
d'un Lord Voldemor parasitant nos rêves
hybridation de ce qui (en nous)
refuse de se laisser berner
 
prodige singulier que ces capsules
sonores que nous suçons de rang
dans nos conversations jusqu'à
ce qu'une d'entre elle
manifeste son étrangeté
intransigeante
en nous restant au travers
de la gorge du
grand siphon
absorbant nos verbiages
 
hommage phonatoire aux
mots#tympans isolant
nos cerveaux de la
cohue du monde
crible ductile
liant les sons en gerbe
fricatives palatales et labiales
gorgées de symboles
de double-fond et d'à-pics
 
hommage déambulatoire aux
mots#puncture suturant
les plaies vagabondes
compresses appliquées sur les
yeux de qui a beaucoup erré
 
mots#tampons imprimant
le sceau des réminiscences
dans la cire parfumée
d'un présent malléable
 
hommage conjuratoire aux
mots#affres de solitude
combien au bord du gouffre
avec pour ne pas sombrer
un mot glissé entre les lèvres ?
 
Hommage jaculatoire aux
mots#contentement du « j'ai ! »
du jeu du je du jus du jet
mots#sonnants et trébuchants
dont la notoriété donne le change
à cette friandise buccale itérative
le réévaluation subtile de son taux
dans le cours fluctuant de nos dires
 
pure jouissance des mots-dits
d'un coup de langue d'un rehaut de glotte
d'une sonorisation articulée du souffle
et dont les traces écrites
macules rajouts reliquats et ratures
forment le substrat de la littérature
 
hommage décompensatoire aux
mots#cadeaux d'enfance féconde
esbaudi de comprendre 
que moi aussi j'étais légitime
à manier les mots
découverts dans les livres qu'
ils étaient une partie de moi que
j'étais une partie d'eux
 
hommage réfectoire aux
mots#gamelle de soupes étoilées
servies à la grosse louche
par les cantiniers de la littérature
insoucieux que des germes de vie
grouillant dans leurs grimoires
criblés de gloses de notes et de scolies
contaminent de fait de futures
écrivain.es en leur faisant
ingurgiter avec de grands « slurp ! »
gloutons des lettres formant des
mots#ferments de rêves
 
hommage évocatoire aux
mots# (n'ai-je pas voulu l'être
par souci de l'assonance
et parce que je croyais
devoir donner une directive au désir
(alors que le désir débridé s'éparpille aussitôt
sur toutes sortes d'êtres et d'entités
qu'on ne saurait catégoriser)
 
mots#d'amour élaborés sur la crête
de l'explosion ravageuse de l'adolescence
(emportant avec elle l'immuable de l'enfance)
 
mots#délivrés à / délivrés par
ces nouveaux corps apparus
dans la lumière chatoyante
de leur seule chasuble érotique
proximité qui me lacérait alors
incompréhensiblement le cœur
 
mots#camions de transports en tout genres
(gros, demi-gros, détail)
confiez-leur en toute sécurité
vos plus chers affects
ils vous le rendront au centuple
 
inconcevable jeu de dupe
changer des sons en sens du sens en sons
une jacasserie incandescente
qu'il ne faut jamais interrompre
sous peine de perdre le fil
(nous y perdrions le sens)
 
Hommage combinatoire aux
mots#horlogerie de précision
poussière de laïus insaisissable moiré
fluctuation incessante des reflets
captifs dans les joyaux des mots
enchâssés dans la réalité brute
            opération à cœur ouvert
 
tant d'heures passées à les choisir
les tourner les retourner les détourner
tant d'heures passées à les goûter pour
en mesurer avec exactitude leur tanin
de surprise leur teneur d'habitude
leur plus ou moins grande
persistance dans l'esprit
selon la place et l'intensité octroyées
 
joie de l'orfèvre en sertissage et en poli
travail de fourmi incognito dans son for intérieur
jusqu'à ce que (au bout de nombreuses années
d'apprentissage) les mots commencent
à chanter d'eux-mêmes en soi
les mots se dictent eux-mêmes
dans ma tête
dans ma tête-même
 
hommage spéculatoire aux
mots#fertiles exhalant des saveurs
différentes de ceux de l'arpent d'à côté
la moindre modification du ciel
la moindre intensité de lumière
le moindre souffle d'air
la moindre variation
de notre état intérieur
les fait changer de tout au tout
ils sont vivants

hommage déclamatoire aux
mots#instaurés par l'humain
inventeur d'un langage qui nomme
alors que jamais pourtant
un mot n'épuisera
la chose nommée
elle se résorbe à mesure
dès lors le mot ne peut signifier
qu'en migrant d'une occurrence à l'autre
tel un insecte butineur
ou bien vers un autre mot
jugé similaire
dans une langue exogène
à la sienne
 
c'est précisément au moment
de cette translation / traduction
(car c'est chose spirituelle)
que se révèle un accord fugace
et momentané d'équivalence
(cela se nomme coruscation)
entre la chose et l'esprit
sous la forme d'une réminiscence
 
Hommage exploratoire aux
mots#prophètes déployant
leur lyre dans l'obscur du celé
issus d'une source à jamais non tarie
tant qu'au moins un.e d'entre nous
tente de les agencer à sa mesure
 
Hommage opératoire aux
mots#tangibles circonscrivant
« ce qui est » de «ce qui n'est pas »
le « vrai » du « faux » l'« être » du « néant »
(c'est un mythe bien sûr) un fantasme
bacchanale de ménades ivres d'hubris
la baguette magique de leur doigt-logos
échafaudant un cosmos looping
hors champ d'un chaos forcené
 
Hommage dilapidatoire aux
mots#catapultes propulsant
dans l'espace sidéral des ballots
de germes spores et hormones
dont les constellations aléatoires
dessinent les schèmes mouvants
de nos pensées acrobatiques
 
mots#chaussettes qu'on enfile
à tâtons réjouis qu'elles
soient si chaudes et confortables
mais qu'on oublie tout le jour
tant nous sommes occupés là-haut
à faire des bulles avec notre individu
 
hommage subrogatoire aux
mots#substrat de terre incorporelle
granuleuse et abstraite
(une portion de brunisol riche en
nutriments issus
des langues anciennes)
que nous faisons germer
avec l'eau de notre salive l'air
de notre souffle brûlant
le façonnage des muscles
prompts de nos bouches
et de nos tendons drus
 
lorsque nous parlons
nous mâchons cette terre
nous mâchons les morts
la multitude des morts
qui nous ont précédés
dans cette mastication langagière
 
mots#aspirateurs siphonnant
le jus du vivant jugulant
le vif du sujet en autant
d'unités sémantiques distinctes
rompant l'en-soi d'un monde
impensé parce qu'en train de se faire
pour en insérer de force
des fragments dans les
cases prédites des mots
 
hommage récriminatoire aux
mots#baillons catégorisant
le monde en unités coites
 
mots#couperets qui
sanctionne / sectionne
le ruban sans dessus ni dessous
(« monde en mots »
versus « cosmo(t)s »)
 
d'un côté l'un du mien de l'autre
le deux du tien tu l'auras
partition drastique de l'Un
barré intransitif d'un trait
scindant chaque morphème
en signifiant et signifié

opprobre discriminatoire des
mots#vigiles marqueurs
anthropométriques t'es-qui-toi
de l'assignation tribale
ils nous étiquettent mieux
que nos habits nos manières
ou nos cartes de membres
 
opprobre réquisitoire des
mots#carcans qui nous enferment
dans le prêt-à-penser le déjà dit
niveau vau-l'eau du caniveau
(pour s'en servir de frais il faut savoir
leur faire rendre gorge
en expurger la bile mortifère
logorrhée salivaire de ces mots
escargots qui dégorgent)
 
mots#jetés avec l'eau du bain
de la novlangue qui nous lèche
de partout nous sale sévère
qui veut la peau des mots ?
 
mots#gangrène phagocytant nos méninges
quand "ça" parle en nos têtes
volières cacophoniques
sapant tout essor vers l'envol
que vaut ce peu de mots ?
 
opprobre manipulatoire des
mots#conditionnant nos esprits
ravis lorsqu'ils entendent l'air
familier de la publicités agiter
leur collier de clochettes
pour les faire saliver à l'avance
devant tant de bons produits
 
opprobre révocatoire des
mots#verbiage à l'opposé
des mots se trouve le silence
            (ne jamais l'oublier)
            le silence est toujours à opposer aux mots
face à l'engendrement des mots
le silence est toujours opposable
 
lorsqu'on s'octroie le silence
l'aura des êtres s’accroît d'autant
révélant des gens des choses
(même du temps et de l'espace)
libérés de la gangue des mots
leur inclinaison spontanée au sans-forme
 
- Eh ! Ho ! Le joyeux yogi !
Que retentisse le voix de l'éveil
jusqu'aux tréfonds des vallées
jusqu'à la moelle de nos os
Victory to the golden fan !

hommage péremptoire aux
mots#stupeurs et commotions
fluxions œdèmes bleus à l'âme lèvres fendues
la bouille écrabouillée de framboise des clowns
mots#uppercut laissant pantois la partie de soi
qui ne croit qu'en ce qu'elle voit
 
Mots#pif#paf#poum et pan dans la gueule
le sanguinolent de la chair crue
le glacé de l'eau pure
la destinée opiniâtre du grain
l’émotion abonde tellement entre les doigts
qu'elle ruisselle en ondes bleues
 
mots#poudre à éternuer
dont les narines offusquées expulsent
aussitôt les semences hallucinées
 
hommage déprécatoire aux
mots#carambolages et têtes-à-queues
quiproquos lapsus vire-langues
mots hérissés de clous fulgurant
l'intrinsèque de figurines vaudous
 
mots#cratères leurs fièvres
embuant nos parois de verre
grêle dont le vertical tremblote
mots#en fusion révulsés
sur le sol tord-boyaux expulsant
des gerbes de matière superfétatoire
 
hommage respiratoire aux
mots#formule à 4 inconnues :
air (souffle) + terre (chair)
+ eau (salive) + feu (énergie) = mots
 
hommage vibratoire aux
mots#conducteurs dont le principe
interne n'est pas de résoudre
leur antagonisme inné
mais de le porter à son
plus haut degré d'incandescence
jusqu'à ce que leur éclat igné
(on nomme cela coruscation)
jaillisse hors de la gangue d'un poème
 
hommage inflammatoire aux
mots#court-circuitant 
leurs polarités opposées
(s'il étaient non conducteurs
ce ne serait plus que des vocables)
 
hommage diffamatoire aux
mots#duplices jouant
toujours leurs cartes biaisées
pâte à remodeler les significations
entre double-sens et lapsus
ils se déforment à mesure
que se forme leur empreinte
dans nos bouches locutrices
 
hommage expurgatoire aux
mots#pusillanimes se renfrognant
derrière leur devoir de réserve
lorsqu'il s'agit de leur faire rendre raison
 
mots#caries enfonçant
dans nos gencives les
clous rouillés de la douleur
pour nous la faire « dire »
pour que ces maux dé
glutis deviennent nôtres
 
hommage sacrificatoire aux
mots#sachets de sens
(ils nous préservent du chaos)
si le grand flux de la maya
n'était pas contenues dans ces
petites unités discrètes
(ces quenottes d'émail)
nous deviendrions maboule
(nous y perdrions le sens)
 
Les mots sont toujours
à diluer dans le flux du sens
utilisés purs il y a risque
d'intoxication
 
hommage aléatoire aux
mots#jamais jet de dés
n'abolira le hasard
artisanat du poète ou de la poétesse
repérer ceux qui vibrent
les créer si besoin
réveiller la coruscation
des délaissés des
obsolètes (expert
en la matière : Ponge
ses volumes du Littré
sous le bras)
 
- Eh Francis ! Francis !
Viens t'asseoir avec nous
dans l'ombre vive des platanes
viens !
 
hommage masticatoire aux
mots#réversibles bulles de vides 
générées par la grande rumination
de la réalité éponymes échos
affaiblis lueurs fugitives
sur la paroi de la caverne
du mythe platonicien
 
hommage divinatoire aux
mots#ventriloques
succédanés sans forme
texture ou antécédent
traces éparses de ce dieu
aux énormes yeux bleus
et aux formes de neige 
tel que le formulait
magistralement Rimbaud
prenant congé de la littérature
dans le grenier étouffant
de la ferme de Roche
 
mots#vibratoires tournoiement
d'élytres d'or foudroyant
l'opacité des choses
unique et profonde ondulation
grésillant jusqu'à la moelle
de nos os
 
mots#flux baignant les lobes
de nos cerveaux radioscopant
nos appareils conceptuels
d'un grand souffle régénérateur
 
poète : être d'impression
et de sédiments
jusqu'à ce que l'étincelle
de l'intuition
illumine ces abysses
apprendre à être poète
c'est apprendre à laisser
ouvert l'accès
à ce qui est le plus
profond en soi
et à attendre
l'instant du premier éclair
 
- Non ! Non ! Les mots ne sont rien de tout cela
ni pochettes surprises ni mystère à la gomme
ni petits sacs contenants des fragments de réalité
ni blocs de sens polis par l'usage
ni machouillis recrachés par la bouche des morts
ni ustensiles pour rendre le monde commun
ni objets intercesseurs du poète-shaman
ni particules élémentaires d'un soi hypothétique
 
les mots sont toujours par défaut
pour en saisir la véritable nature
il faut renverser notre perspective
regarder le schéma à l'envers
remplacer le vide par le plein
et le plein par le vide
réaliser que ce qui existe n'existe pas
et ce qui n'existe pas existe
 
révélation de ces mots#gong
silence déployé
dans les replis des choses
nettoyées de toutes suies mentales
leur morsure impérieuse
incisée dans le givre du présent
confère à ceux qui ont des yeux
pour voir des bouches pour goûter
des narines pour sentir des oreilles
pour entendre de la peau vivante
pour ressentir le rebond du toucher
cet incroyable goût d'infinitude
 
hommage subrogatoire aux
mots#déclics de l'éveil
quand le son se fait sens
et les ténèbres claires
le souffle est un signal
ouvrant l'échange avec
tout ce qui existe
émis depuis le cœur de soi
là où le vide rayonne
et s’accroît en offrant
résonance avec la peau
tendue du monde
 
hommage circulatoire aux
mots#désentravés d'eux-mêmes
révulsés hors de leurs cosses
comme un gant retourné
quand tout est déjà accompli
dans la déflagration du présent
 
syntagmes et paradigmes
enfin résorbés en un point
 
au moment où le soleil
émerge des nuages il inonde
déjà intégralement le monde
énigme du jaillissement pur
comme le formule Holderlin
coïncidence exacte entre
éclosion et épanouissement
 
et donc par voie de conséquence
opprobre rédhibitoire des
mots#thaumaturges aucune parole
aucun acte des maîtres
ne nous sera bénéfique
tant que nous ne serons pas
à l'endroit de ce jaillissement pur
 
leur illumination cessera lorsque
nous n'y seront plus exposés
l'exaltation retombera à moins
que jaillisse en nous
la source de la joie intérieure
à moins que ne se réalise
l'accomplissement
de notre véritable nature
 
tant que nous rejetterons
le graveleux des mots
pour ne viser que
la pureté de l'esprit
la source ne jaillira pas tant
que nous ne nous tournerons
pas à une vitesse folle
dans le manège de l'illusion
 
à califourchon sur le cochon
rose du désir la chèvre bleue
de l'envie l'éléphant goinfre
le singe avide la girafe
distraite et le serpent retors
 
tant que nous dénigrerons
toute la joyeuse ménagerie
l'illusion comme illusoire
moquant celles et ceux
qui font des pieds et
des mains pour attraper
le pompon les premiers
 
hommage dilatoire aux
mots#valises instaurant
un tour encore (de
manèges d'écrous de piste
ou de passe-passe peu nous importe)
juste un tour de plus un
mot encore avant
que ce ne soit vraiment la fin
 
hommage propitiatoire aux
mots#candescence déposés
par ta bouche sur ma peau
quand nos sexes révulsés
s’exaltent dans la saisie
à pleine poigne d'une
innocence scandaleuse
 
mots#caresses faufilés
petits drapeaux plantés
dans la ruban charnel
notes bleues s'envolant
au dessus de la musique
éparpillement d'un sens insaisissable
sur les pourtours d'un monde
tout saisi de surprise
 
hommage ovulatoire aux
mots#cales inondées s'échinant
à écoper le désir instantané
sourdant des interstices
à l'endroit de la friction des corps
(ça point ça gicle ça geint)
 
            la maison est plongée dans l'obscurité
            portes et fenêtres grandes ouvertes sur la nuit
            bruissant d'insectes non encore au repos
            un oiseau pousse un ou deux cris étonnés
            peut-être un début de chant de rossignol
            l'air nocturne me caresse la peau des bras
            la fraîcheur arrive enfin avec la nuit
            elle sourd des vieilles pierres quand
            la chaleur tapageuse du jour s'est résorbée
            le jardin que je viens d'arroser embaume
            enivré de senteurs affairées 
            quelqu'un qui n'est pas moi tousse
            dans l'obscurité de la chambre à l'étage
            j'entends les pattes de la chatte
            tapoter le rebord de la fenêtre
            elle vient vérifier que je suis bien là
            puis repart chasser les petites bêtes dans le jardin
            plus encore que l'accalmie nocturne
            c'est le silence phénoménal qui stupéfie
            l'esprit du soir et me comble
            d'un bonheur inexplicable
            j'écris dans la seule lumière de l'ordinateur
            calé entre mes cuisses et mon ventre
            l'écran bombardé de petits insectes
            et de papillons de nuit désorientés
            le corps reposant dans le canapé
            la tête appuyée sur l'accoudoir
            l'air frais est comme un bain
            délassant le dru de mes chairs
            je savoure étonné chaque
            seconde de cette rémission vespérale
            écrivant encore quelques mots
            juste pour le plaisir d'écouter
            le crépitement de mes doigts sur les touches
            me rappelle le bruit de la pluie
            qui n'est pas tombée depuis si longtemps
            elle nous manque
 
hommage compensatoire aux
mots#câlins prémâchés des
effusions latentes de nos manques
de tout ce que la vie a laissé
en rade dans nos soutes
 
mots#pluie de mots clapotis
sur le toit de nos pensées                  
c'est le frisson des mots
frôlant la peau-tambour
croquant le brin du sexe
comme on coupe le cordon
net
 
voilà ce que j'ai laissé sur ta peau
(après toutes ces années)
                        des mots
tandis que ruisselle
(de ton sexe-pénis-clitoris)
enfoui dans son gousset de chair
à profusion sur nos têtes
(le liquide opaque)
de ta jouissance
 
Sur le même sujet, on peut lire : 

  • Sur le sens des mots, publié le 7 octobre 2025. 
  • Sur mon rapport aux livres, publié le 29 janvier 2023.

samedi 30 août 2025

 Sur un "j" apostrophe

   Dis-moi, Nanette, est-ce que tu peux me redire un petit peu ce que tu racontais l'autre jour, à propos de cette histoire de "j" apostrophe. Tu te souviens ?

    Ah oui, c'était quoi déjà ?

  C'était au sujet des paroles que nous échangeons. Du fait qu'au fond nous nous adressons toujours la parole à nous-mêmes...

   Ah oui, ça me reviens. C'est quelque chose que j'ai réalisé lorsque j'étais jeune, quand j'ai commencé à comprendre les adultes. En fait, on pourrait dire que cela correspondait au moment où j'étais moi-même en train de de devenir une adulte ! (elle rit). Cela parait un peu pessimiste, dit comme ça – voire un brin cynique – mais je trouve que c'est un outil mental très utile pour comprendre ce que disent vraiment les gens quand ils parlent – et éventuellement pour leur répondre quelque chose qui les aide.

   Tu peux redire précisément ce que c'était ?

 Eh bien,  j'ai compris que lorsque les humains parlent, ils parlent essentiellement d'eux-mêmes. Ensuite j'ai compris que lorsqu'ils retiennent un élément de ce que nous leur avons dit, c'est qu'ils ont reconnus quelque chose qui leur ressemble. C'est pourquoi quelquefois il nous semble se focaliser sur une détail qui nous parait insignifiant, tout en passant complètement à côté de ce qui nous paraissait essentiel dans ce que nous venons de leur dire. Et enfin j'ai compris que lorsqu'ils nous parlent, en réalité ils s'adressent la parole à eux-mêmes. On pourrait dire qu'ils parlent à la partie d'eux-mêmes qu'ils ont identifiée en nous.

   Ah oui, c'est ça. Pas très optimiste en effet.

   Mais entendons-nous bien : ce n'est pas un jugement moral, hein? Je ne tiens pas ce genre de propos : tout  le monde est con, sauf moi. Je m'inclus moi-même dans ce processus. Je m'applique également cette grille à moi-même. Je me dis : "tiens, pourquoi est-ce que j'ai retenu précisément tel truc dans ce que m'a dit machinchose ? Cela a du faire écho en moi..." Ou bien : "lorsque je dis tel truc à machinette, quel est le message que je m'adresse à moi-même"?

   Et l'histoire du "j" apostrophe, tu peux expliquer aussi ?

   Mais pourquoi tiens-tu absolument à ce que je redise quelque chose que je t'ai déjà dit? Je ne comprends pas bien l'intérêt. De deux choses l'une : soit tu t'en souviens et je n'ai pas besoin de répéter, soit cela ne t'a pas assez intéressé pour que tu le retiennes, et alors cela ne sert à rien d'y revenir...

  Si-si, je m'en souviens. Très bien même. Mais je veux être sûr de m'en souvenir exactement comme tu l'as dit. Je voudrais le noter.

   Ah, si tu notes, alors...

   Et donc?

  Et donc, pour ne pas me laisser abuser par le sens superficiel des paroles qui m'étaient adressées (c'est-à-dire pour bien en comprendre le sens profond) j'avais imaginé de transcrire mentalement toutes ces paroles précédées d'un "j" apostrophe, pour bien montrer que c'est ce "je" qui parle, en réalité.

   Et concrètement, cela donnait quoi?

   Et bien, ce que je viens de t'expliquer. Quelqu'un émettait une opinion sur un sujet donné, mettons "aimons-nous les uns les autres" et je traduisais mentalement "j'aimons nous les uns les autres". Tu comprends?

   Moui. Je trouve qu'elle ne veut pas dire grand chose, cette phrase-là : "j'aimons nous les uns les autres" ...

   Mais cela ne change pas le sens de la phrase ! Cela indique simplement d'où elle est émise, qui parle. C'est un indicateur.

   Comme des guillemets, c'est ça ?

    Les guillemets, cela indique juste qu'on retranscrit une parole telle quelle a été émise. Alors que le "j'" apostrophe indique quequel que ce soit le propos, c'est toujours "Je" qui parle de lui. 

   Ah oui, d'accord. Je crois que je commence à comprendre. Et, comment dire... Tu n'a jamais trouvé d'exception ? Tu n'as jamais rencontré quelqu'un qui t'a parlé sans se parler à soi-même ?

   Ah! Voilà une question intéressante. Une vraie question à se poser à soi-même. Oui,  je me suis demandé s'il existait sur terre des gens qui ne parlent pas depuis le présupposé de leur "je", par rapport à leur "je" et à l'attention de leur "je". Et de fait, j'en ai rencontré. On en croise très peu dans une vie. Ce sont des rencontres précieuses qu'il faut chérir.

    Et ces gens, c'étaient qui?

   En fait, c'était moins des gens que des situations qui faisaient que, à un moment donné, entre nous, ce type de parole, sans le filtre du "je", était possible. Lorsqu'une telle parole t'est adressée - ou bien lorsque tu l'émets toi-même à destination de quelqu'un - c'est un événement marquant. Tu t'en souviens toute ta vie.

   Mais dis-moi, Nanette, encore une question (après je te laisse tranquille!). Il n'y a pas que la première personne du singulier dans notre grammaire relationnelle : il y a aussi le "tu". Est-ce que, dans ta manière singulière d'entendre les propos des gens, le "tu" ne rentre pas en jeu, lui aussi – sans vouloir faire de mauvais jeu de mots...

    J'e de mots !

   Je veux dire, est-ce qu'on ne mets pas non plus un "t" apostrophe lorsqu'on parle aux gens ? Ou plutôt, est-ce que tu penses qu'il y a une possibilité de parole qui ne prenne pas de "t" apostrophe ?

   Oh ! Tu es un petit malin, toi... Je vois que tu as réfléchi à la question avant de m'en parler... En fait, c'est un guet-à-pent, cette conversation ! Tu avais tout manigancé à l'avance...

    Et donc?

   Eh bien, tu l'as compris, lorsqu'on parle de certaines personnes qui peuvent émettre des paroles sans le filtre du "je", on parle de personnes qui, d'un certain côté, sont "éveillées", ou du moins qui ont atteint un haut niveau de réalisation spirituelle. Mais lorsqu'on parle de personne qui peuvent s'adresser à nous sans le présupposé du "tu", on parle alors de maîtres. Des gens qui transmettent leur éveil d'esprit à esprit.

    Des gurus ?

   Oui, on peut les appeler comme ça. Mais, encore une fois, ce ne sont pas de gens dont il s'agit (même si bien sûr cela concerne une catégorie de personnes bien spéciale) – mais de rencontres instantanées. Ce ne sont pas "des" gurus, mais des personnes éveillées avec laquelle nous avons une relation de discipline à guru. C'est la relation, de maître à disciple et de disciple à maître, qui invite l'émergence de cette parole qui nous est adressée sans le truchement de ce "tu" factice.

   Et qu'est-ce qu'ils disent, alors, ces maîtres? Qu'est-ce qu'ils t'ont dit à toi, précisément?

   Ce ne sont pas forcément des mots. Cela peut prendre la forme d'un silence, ou bien d'un acte, d'un geste, d'un regard. Quelques soient la forme que cela prend, leurs propos nous transpercent le cœur comme des glaives dont le fil de la lame est aiguisée jusqu'à l'impondérable.

   Oh !

   Oui, mais attention ! Ne te laisse pas abuser par le côté séduisant de cette formulation. Ce que nous faisons ensuite de ces moments exceptionnels ne dépend que de nous. Nous pouvons les essentialiser sous la forme d'une nouvelle répartition égotique du monde, un méga "je"-disciple face à un méga "Tu"-guru – et la situation devient alors inextricable. Ou bien nous pouvons vivre ces moments comme des impulsions nous menant droit à l'éveil. Cela ne dépend que de nous.

   Merci Nanette.

Sur le même sujet, on peut lire :

  • Sur le chemin spirituel, publié le 21 octobre 2024 

lundi 11 août 2025

Sur le rapport aux œuvres d'art.

Il y a quelques jours, j'ai retrouvé par hasard dans mes carnets cette citation du photographe Walker Evans, datant de 1971 : Pour ceux qui le veulent, ou qui en ont besoin, une bonne exposition est une leçon pour le regard. Et pour ceux qui n'ont besoin de rien, ceux qui sont déjà riches en eux-mêmes, c'est un moment d'excitation et de plaisir visuel ; il devrait être possible d'entendre des grognements, des soupirs, des cris, des rires et des jurons dans la salle d'un musée, précisément là où ils sont habituellement refoulés.

Après quelques années de fréquentation des musées, je me situe plutôt dans la catégorie de ceux qui n'ont besoin de rien en matière d'éducation du regard. Je ne visite plus les expositions, je les explore à la recherche d'une possible expérience sensorielle, toujours aussi incertaine, aléatoire et au fond – quand elle survient – toujours aussi inattendue. Cette perspective d'une rencontre esthétique m'excite au plus haut point, même si je garde assez de self-control pour réprimer les grognements, les rires et les jurons que Walker Evans appelle de ses vœux !

Par voie de conséquence, le savoir de l'art m'intéresse moins qu'autrefois. J'ai suffisamment de connaissances pour tenir, quand cela s'avère nécessaire, des propos intelligents sur l'artiste et son œuvre – même si ce genre de vocalises érudites ne m'a jamais motivé. Ce qui m'importe, c'est que mon savoir ne conditionne pas mon regard. Je ne lis les cartels qu'après avoir contemplé une œuvre, et seulement pour celles avec lesquelles il s'est passé quelque chose – les autres, je les laisse à leur anonymat, en souhaitant que quelqu'un d'autre que moi parvienne à établir un contact avec elles.

Je préfère quelques rares rencontres avec des œuvres qui me choisissent – puisque ce n'est certes pas moi qui les sélectionne au préalable ! - plutôt que glisser un regard superficiel sur l'intégralité des œuvres exposées. C'est une question de respect pour les œuvres présentées, mais aussi une manière de me protéger. Il ne m'est plus possible de considérer une œuvre sans faire en sorte qu'elle ait prise sur moi, sans lui offrir l'opportunité de me faire sortir de ma coquille, de m'extraire de mon confort mental. Sans lui donner toutes les chances de me déloger de moi-même...

Évidemment, s'il ne s'agissait que de dire cela, je n'aurais pas pris la peine d'écrire ce texte. Chacun.e d'entre nous a un rapport spécifique aux œuvres d'art, dépendant de son parcours, de ses centres d'intérêts ou des périodes de sa vie. J'aimerai aller au delà de mon cas personnel pour en dire un petit plus – pour donner peut-être quelques clefs aux personnes qui seraient naturellement enclines à développer ce type de rapport à l'art – un rapport que je qualifierai de spirituel.

Dans une exposition, il est facile de repérer ceux qui viennent là pour « prendre un leçon », de ceux qui cherchent « un moment d'excitation », pour reprendre les termes d'Evans. Spatialement, les deux publics se mêlent, mais ne se mélangent pas. Certains (la majorité) déambule avec une placidité toute fluviale, accordant l'essentiel de leur attention aux explications écrites ou orales, audio-guides, vidéo ou téléphones portables - tandis que d'autres, plus rares, restent immobiles devant certaines œuvres, comme s'ils étaient en contemplation. Le temps pour eux semblent s'être arrêté. Ils forment des îlots dans le flot continu du public. Ils sont fixes comme les œuvres elles-mêmes, avec lesquels elles ou ils communiquent - d'esprit à esprit.

Mais que voient-elles, ces personnes ? Evans parlent « d’excitation visuelle » - est-ce bien de cela qu'il s'agit ?

Pour ma part je trouve le terme trop réducteur. Je pense que ces personnes commencent par voir ce qui constitue la partie matérielle de l’œuvre – ce qui fait qu'elle est d'abord une chose – et qu’ensuite cet aspect matériel les mène ailleurs, dans une autre dimension, plus spirituelle.

C’est seulement ensuite qu’un équilibre se forme entre la personne qui regarde l’œuvre et l’œuvre elle-même. Ou, pour le dire d'une manière peut-être encore plus absconse, je pense qu’alors l’œuvre commence elle aussi à regarder celui qui la regarde.

La notion d’œuvre d'art est certes complexe à définir. En adoptant un point de vue très général, ne pourrait-on pas dire que ce que nous appelons « art » correspond à la présence d'une forme d'esprit infusant de la matière ? La différence entre un chef-d’œuvre et l'objet anodin serait alors la plus ou moins grande présence d'esprit que leurs matériaux contiennent. Je ne pense pas exclusivement à l'esprit de leur créateur (pour autant qu'il soit connu), mais également à l'esprit de tout ceux qui l'ont contemplés, aimés, manipulés – tous les esprits qui ont longuement interagis avec cet objet.

L'esprit est par définition immatériel, insaisissable et de fait inexistant s'il n'est pas instantanément actualisé par l'esprit – selon le principe mystique du même reconnaissant le même. Ce que l'on appelle « beauté », plutôt qu'une adéquation subjective à des critères esthétiques nécessairement relatifs, n'est-ce pas justement cette actualisation immédiate, l'expérience de cette lumière qui s'éclaire elle-même à partir de son propre vide ?

Même si la forme d'une œuvre d'art est tributaire des canons de la société qui l'a produite, l'esprit qu'elle contient, lui, est hors de toute contingence. N'importe qui peut y avoir accès, directement, même s'il ne comprends pas les raisons d'être de l'objet qu'il contemple – pourvu qu'il le contemple !

L'objet-support de l’œuvre d'art est un véhicule qui transmets l'esprit, sans passer par le truchement intellectuel du langage. C'est ce qui constitue l'aura mystérieuse des objets sacrés, quelques soient les rites dont ils sont issus.

C'est aussi la particularité du chamanisme qui suscite en moi le plus d'intérêt : mettre du divin dans les objets les plus dépréciés : les déchets, les ordures – le reliquat et la pacotille. Car je parle d'objet par facilité de langage – l'esprit peut infuser dans la chose de bien des manières et à bien des échelles – du plus monumental jusqu'au plus éthéré. Même les ondes sonores, pourtant insubstantielles, peuvent permettre d'élaborer des monuments prodigieux, comme par exemple la musique classique occidentale. 

Les objets-substrats sont donc ambivalents. Ils sont à la fois opaques et vecteurs d'immatériel. On peut les aborder par un bout ou par l'autre. Mais les portes qui mènent à l'une ou à l'autre de ces catégories ne sont pas là celles que l'on croit. Il y a là un croisement chiasmatique : la porte de l'opaque mène au spirituel et celle du spirituel à l'opaque.

Je m'explique. En cherchant le sublime dans l'art, on ne trouve que le banal. Qui veut faire l'ange fait la bête – comme le répète à l'envie Pascal depuis 400 ans... Mais aussi : qui fait la bête fait l'ange. Celui qui aborde les objets d'art avec la bêtise des animaux – avec les yeux placides de l'âne et du bœuf contemplant un nouveau-né dans la crèche – ceux-là accèdent directement et sans l'avoir voulu au divin contenu dans les choses !

Si l'on cherche à aborder une œuvre d'art par l'esprit, l'abstrait, l'intellect, on ne trouve que des substrats d'une factualité phénoménale toujours décevante. Ce n'était donc que cela, cette œuvre qui semble avoir bouleversé tant de personnes avant moi ?

A l'inverse, si l'on s'absorbe dans la contemplation de la matérialité même de l’œuvre, si l'on pénètre dans sa texture-même, sa substance, si l'on se mets au diapason de sa vibration existentielle – on accède alors aussitôt à la part la plus haute de l’œuvre, celle qui ne peut s'expliquer ni par des choses ni par des mots.

C'est le principe de la contemplation : l'anodin, l'anecdotique ou le superficiel donnent accès aux sphères les plus élevées et aussi les plus profondes de l'être.

Pour rencontrer une œuvre d'art, pour que l'échange entre nous et cet objet-esprit s'établisse, il faut ne rien savoir, l'oublier lui et nous oublier nous. Il faut porter sur les œuvres des yeux vides de pensées. Il est vrai que certaines ne réagissent pas. Elles restent sagement cantonnées à leurs rôles d'objets d'exposition. Tant pis pour elles, tant pis pour nous !

Mais d'autres nous sautent immédiatement au cou, avec la fougue insouciante d'une jeunesse éternelle. Ce n'est plus nous qui les contemplons, ce sont elles qui s'instillent en nous avec la fulgurance d'un pollen spirituel.

C'est alors que le temps s'arrête. C'est alors que l'échange à lieu, renversant le rapport entre contenant et contenu. C'est alors que l’œuvre d'art se régénère elle-même, tout en nous transformant en profondeur...

Sur le même sujet, on peut lire :

  • Sur les artistes et leurs œuvres – publié le 31 janvier 2024.
  • Sur une question qui m'a été posée en rêve - publié le 31 octobre 2023 

lundi 12 mai 2025

Sur la bonté naturelle.

A force de vivre nos vies au grès des aléas de l'existence, la fougue des émotions interpersonnelles s'émoussent. Du temps de notre jeunesse, nous aimions et nous détestions avec autant d'ardeur que de véhémence – aujourd’hui nous le faisons par habitude, comme une formalité à remplir, une concession aux usages du monde. Certes, l’expérience nous a appris à savoir ce que nous voulons, mais nous le voulons globalement de moins en moins. C’est le moment de notre vie où l’on comprends qu’il ne nous échoira guère plus que ce que nous avons déjà dans notre escarcelle.

Il se produit alors une sorte d'affaissement de l’être, comme si une force d'attraction inconnue le siphonnait de l'intérieur. Ce n’est pas un renoncement, au contraire. L’élan vital est toujours là. On peut même dire que, débarrassé des objets contradictoires dont nous l'encombrions jusqu’alors, le désir gagne en amplitude, jusqu’à se mesurer aux plus lointains horizons.

Plus l'acmé de notre élan vital s'étend dans le sans limite, plus son pétiole se réduit à presque rien. Lorsque nous nous mélangeons nos neurones aux étoiles, notre attache touche à peine terre. Cette partie de nous-même que nous appelons « moi » devient tellement bénigne qu'elle se mêle naturellement au grand terreau du monde, sans distinguo. Qualifier ce phénomène « d’humilité », c’est déjà le hausser du col hors de propos. Nous sommes plutôt terriblement banals. Il n’y a guère de différence entre notre être-là et celui d’un arbre, d’un animal ou d’un matin de printemps tout barbouillé de bourrasques.

Une impulsion vitale qui n’est plus limitée par des désirs contingents et qui monte, monte, dans l’éther… Une base de soi qui se confond avec l’existant, de plain-pied avec les choses telles qu’elles sont… Tant d’espace ouvert entre le haut et le bas peut dérouter. Il est même probable que la personne qui ressentira une telle béance, effrayée par l'ampleur du phénomène, cherchera d’abord à la combler en tentant de réactiver volontairement ses vieux désirs, comme un retour de flammes ou un regain de pâture. Las ! Toutes ces tentatives ne lui serviront de rien. Elle ne parviendra plus à se laisser fasciner par ce qui jusqu’alors lui occupait l'esprit. Il lui faut s’accoutumer à être essentiellement vide.

En fait, cette personne n'a rien à faire de particulier, pas même feindre d'être concernée par les soucis mondains. Elle s’apercevra alors que, par un principe de vase communicant, maintenant qu’elle ne demande à la vie presque plus rien pour elle-même - le sort de tout ce qui existe autour d’elle lui importera d’autant plus. Ce n’est pas une décision consciente. Cela n’a rien à voir avec la volonté d’aimer son prochain à laquelle s’efforce (avec si peu de résultat) une bonne âme égarée dans les affres de la religion. C’est plutôt de l’ordre d’un processus organique, une sorte d’équilibre interne. Cela se fait malgré soi. C’est comme si la force d’amour que toute vie recèle, se trouvant inemployée, se reportait naturellement sur les objets qui l’entoure. C'est progressif, comme la lumière de l’aube. Les plus malins de ceux qui constatent ce phénomène en eux-mêmes comprennent qu’il ne s’agit pas seulement d’un principe de vase communicant. Mais il n’est absolument pas nécessaire d’être malin pour pleinement vivre ce bouleversement intime.

Il est vrai que la ligne de démarcation entre désespoir et avènement de la bonté inconditionnelle est bien mince. Tout comme le désespoir, la bonté procède d'un énorme lâcher-prise. Les « bras nous en tombent », comme on dit. Au sens littéral du terme : nous sommes défaits. Les mystiques ont usés et abusés de cette proximité pour inciter les chercheurs de vérité à persister dans leur quête. On pense aux errances dans la nuit obscure de Saint Jean de la Croix : « Alors je m'abaissai tant et tant / Que je fus si haut si haut, / Que je finis par atteindre le but". Mais la différence essentielle entre la vacuité du désespoir et la vacance présidant à l'émergence de la bonté, c'est justement qu'il n'y a plus rien à quoi reporter cette déperdition. Lorsqu'il n'y a plus de but à atteindre, plus de Dieu à rejoindre, plus de « moi » stable et permanent à quoi affecter nos pertes et nos profits, lorsqu'il n'y a plus d'espoir en quoi ce soit, quel sens pourrait bien avoir le mot « désespoir » ?

Au moment où nous touchons le fond, notre perspective intérieure se renverse et nous émergeons à la surface. Nous pensions nous résorber sur place, être minés de l'intérieur, nous affaisser dans le non-être - mais... il ne se passe rien. Tout est comme avant, et pourtant tout est différent. L'espace laissé vacant par nous-même ouvre une clairière fortuite au sein du monde mouvant. Les portes dorées de la Jérusalem céleste pivotent sur elles-mêmes, offrant l'accès à un monde nouveau, dont la texture est faite des fibres de notre être le plus intime.

Cette force douce, spontanément concernée par tout ce qui l’entoure, cela s’appelle la bonté. Cela nous prend toujours au dépourvu. C'est comme si un vent fou nous fauchait l'herbe sous le pied et qu'on se retrouvait soudain à découvert, le cœur pantelant. C’est un sentiment déconcertant, dont l’intensité ne fait que croître à partir du moment où on l’a senti poindre en soi. Certaines personnes l'expriment quelquefois avec tellement d'intensité qu’il semble rayonner d'elles une lumière invisible. Mais ce ne sont pas elles qui brillent, c'est le monde qui brille à travers elles. Dans la réalité qui est la leur, elles n'y sont pour rien. Elles n'ont ni « atteint » ni « gagné » quoi que ce soit. Il se trouve simplement que leur miroir intérieur a été débarrassé des scories imaginaires qui l’obscurcissaient jusque là.

Sur les pensées.  Le message essentiel que je voudrais faire passer est celui-ci : n'entretenez pas vos pensées ! N'entretenez pas v...