mercredi 4 janvier 2023

Il y a quelques jours j'ai trouvé un poème étrange dans un bouquin d'Yvan Illich. C’est un sonnet d'un écrivain mexicain du XVIIième siècle dont le nom était Luis de Sandoval y Zapata – un nom qui est déjà tout un poème... Et le sujet de ce poème, justement, c'est la "prime matière" – eh oui, rien que ça !

- La « prime matière » ?

Disons, pour faire simple : ce par quoi le monde est quelque chose et non pas rien - quelle que soit la forme (transitoire et conditionnée) au moyen de laquelle cette « prime matière » s’actualise... Sujet plutôt tordu s'il en est, il faut bien en convenir - surtout pour une forme poétique traditionnellement dévolue au dépiautage complaisant des émois amoureux !

Cette bizarrerie littéraire m’a tout de suite séduit - et pourtant je n’ai pas compris un traître mot de ce dont il était question !

J'y suis revenu plusieurs fois de suite, en m'efforçant de lire le poème lentement en me laissant imprégner de chaque image… J’ai eu beau faire, ce sonnet est resté un mystère pour moi. Fermé comme une huître – même si, à chaque nouvelle lecture - « neige odorante en le jasmin t’ai vue »… « l’homicide violence, tout invisible des heures ailées »… - j’entrevoyais les reflets moirés de la perle inaccessible que cette petite chose revêche recélait certainement sous sa coquille obstinément close.

Plutôt que de le reposer avec circonspection sur le rayonnage de ma bibliothèque (comme on remets discrètement dans le bocal une noisette qu’on n’a pas réussi à ouvrir !) – je me suis dit que vous seriez peut-être plus aptes que moi à résoudre cet obsédant mystère. Pour ma part, j’ai trop peu de compétences en matière d’art baroque pour en venir à bout.

A moins que, comme moi, vous préfèreriez ne pas comprendre ?

Après tout, l’enfant que nous sommes tous n’ignore pas que ce que l’on devine, ce que l’on pressent, ce qui affleure seulement à la surface des choses – est bien plus profond et plus fulgurant que tous les savoirs du monde.  

 

A LA PRIME MATIERE

Matière que de vie te forma,

Ta vie, combien eut-elle de métamorphoses ?

Neige odorante en le jasmin t’ai vue,

Et pâle dans la cendre as perduré.

 

Lorsque de tant d’horreurs tu te fus dépouillée,

Reine des fleurs tu revêtis la pourpre.

En tant de formes mortes tu mourus ;

Ton être dans la mort trouva l’éternité.

 

Ne t’éveille jamais en lumière pensive,

Et ne succombe à l’homicide violence,

Tout invisible des heures ailées.

 

Quoi, n’es-tu pas sage après tant de morts ?

Qu’es-tu, nature corruptible,

Demeurée veuve de tant de vies ?

 

(Poème traduit de l’espagnol par Guy Lévis Manos in Octavio Paz, « Anthologie de la poésie mexicaine », Nagel, 1952, cité par Yvan Illitch, « H2O les eaux de l’oubli », folio essai 2021).

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