Terre-mort.
1.
équivaut
à...
la bascule se fait tout de suite du sanguin
à
l'organique granuleux gorgé de germes et de spores
embarquement
immédiat
(odeur de
fioul / cris terrifiés des mouettes)
ça pousse ça croit
les pousses
(qu'on dit
immobiles – quelle pensée confuse que la nôtre !
juste parce
qu'elles n'ont pas de pieds...)
se tendent
s'ovationnent vers l'avant offrent
à la lumière
l'étonnement de ce qu'elles recèlent
les
moteurs vrombissent
les flancs des
carlingues
huileuses parcourues de secousses
s'arrachent à leur destin terrestre
c'est le
départ
2.
Les morts mangent la terre petit bout par petit bout
ils la grignotent
avec leurs
dents de devant
la terre
elle
mange
les morts tout d'un coup
elle les escamotent
les digèrent et les rend
à leur état premier
de glaise
adamique
les morts mangent la terre avec leurs dents de devant
car si le temps
n'existe plus il n'y a plus de sourire possible
juste
un rictus éternel
terre-mort granuleuse aux petites dents aiguisées
quand viendras-tu m'entamer ?
c'est
déjà fait bien sûr
du strict point de vue des cycles organiques
tu ne cesses de me faire mourir
pour que je revive
spasme
étoilé
le jour où mon organisme ne pourra plus mourir
pour mieux se régénérer
il sera défait par la vie ce sera ce que moi
j'appelle la
mort
désassemblant
mes éléments disparates
ma conscience partira à vau-l'eau
au diable vauvert dieu
sait où
nulle part
dirait mon père
qui ne croyait qu'aux atomes
3.
La cosse d'une faîne ratatinée
des racines
filandreuses
la chrysalide rouge d'une noctuelle
une poignée de noisettes enfouies par un écureuil tête de
linotte
les restes non putrescibles
des
ordures
enterrées
par des habitants d'avant
des vers de terre violacés
au
contact si délicat
un cloporte débonnaire
portant
haut
sa
glorieuse ascendance de crustacé
toutes sortes d'armes blanches
sabres cimeterres hachettes coupecoupes
à la lame affilée comme un fil
dans
la terre il y a
des grelots
gelés
des flancs haletants
un regard de
ouf
qui nous déshabille
de la trogne au trognon
faisant croître en nous
une traînée luminescente
un ornithorynque s'installe pour manger les petits vers
et les insectes déterrés par ma pelle
il ne s'appelle pas
ses petits yeux me regardent
je fais l'indifférent
une petite
forme morte
lovée en foetus
m'échappe des doigts
déployant ses fanons invisibles
rose
d'illusion
la sueur perle sur le pourtour des paupières
les doigts précautionneux
percent les peaux des mirages
sans même s'en apercevoir
hypogée
suspendu
aux commissures des lèvres
nous brassons l'air des morts
avec nos mots creux
nos rires sont leurs dents
scintillant dans l'obscurité
de la nuit profonde
4.
A chaque goutte tinte une note métallique : lumière
le substrat se retourne plusieurs fois dans mes rêves
et se
retrouve toujours sur le haut du panier
(petits
bruits de succion de bébé obèse)
ça boit toute cette eau tombée – ça s'appelle l'ondée
ça pourrait être le nom générique de ce qui n'a pas de nom
ça génère ça imbibe ça mélange ça croit ça dépérit ça se
décompose
le vent prend l'herbe par les racines secouer jusqu'à faire tomber l'oeuf
brisures d'azur flaque de gelée répandue une vie gâchée
vue d'ici il ne pleut pas des
perles rapides glissent
sur
l'ourlet de ma capuche
c'est de
loin
que la brume
d'eau
finit par
s'épaissir en pluie
une fois mélangée à l'eau cette
bouillie dans laquelle on praline
les
racines des poireaux
la terre laisse des traces à
repiquer
qui ne partiront pas
monticules
mouvants
poussés
par d'insolents rats-taupiers
s'effondrant
sous mes yeux
oh
!
genoux à terre l'eau s'infiltre par les rotules
l'ornithorynque
femelle
prépare son
nid inhumé
en le
tapissant de feuilles et de branches
ramenées
avec sa queue recourbée
mug est le nom de cette boue séminale
les enfants qui ne s'y trompent pas l'appellent la gadoue
sur le front du Golem était écrit le mot emet qui veut
dire vérité
c'est ainsi qu'on pouvait lui donner vie et l'obliger à servir
si l'on efface le "e" initial le mot signifie mort
la créature d'argile retournait à l'informe
terre-mort à la flagrance de truffe à la viscosité de caviar
des galeries
rondes s'ouvrent
soudain dans les trous qui s'éboulent
des doigts de géants s'y sont glissés
il y a peu
je
ne savais pas à quoi ressemblait
le
pénis bifide de l'ornithorynque
c'est
une sorte de petite main rose
deux
doigts de gants qui seraient restés
retroussés
quelle
est le vrai visage de la pierre
lorsqu'elle
est entièrement enterrée?
de la terre jusqu'au fond de la gorge
je suffoque de
cette globalité
mastoc besoin
d'air
appel d'air d'une
galerie s'ouvrant soudain devant moi
in extremis le
vide m'offre une issue
viable
polarité de la terre inverse de l'aimant
lorsque les mains plongent toutes entières dans sa texture
elle s'égrène elle s'échappe se désagrège
mais lorsqu'on s'en éloigne
la force d'attraction de sa masse nous cloue sur place
irrésistiblement attirés que nous sommes par sa présence
immense :
terre
5.
Mais voyons !
il ne s'agit
pas d'une personne
ni même d'un être vivant
(je te concède le vivant mais je réfute l'être)
alors
pourquoi y reviens-tu sans cesse
avec autant de sollicitude ?
(soliloque
du jardinier)
qui s'ouvre
sous le soc
avec
l'opulence d'un brocard
giroflée
consubstantielle
à l'éclosion
des germes
la
forclusion des semences
de recels en
ressacs
la réponse immuable est :
parce qu'aimer ce qui vit est le propre du vivant
6.
Le jardinier alterne veille et sommeil
ni l'un ni l'autre n'est ordinaire
la veille consiste à scruter avec un amour incommensurable
la moindre transformation des germes de vie qu'abrite son
jardin
le sommeil consiste à fertiliser de rêves la verdure qui
l'entoure
plus il se fait vieux moins il travaille
et plus il
rêve
souvent on voit de vieux jardiniers immobiles dans
leurs jardins
pendant des heures
on croit
qu'ils sont ailleurs
moi je
dirais au contraire qu'ils sont là
l'un d'eux
assis par terre
sa tête a roulé dans la luzerne
son bouquin à la couverture recourbée est tombée de ses
mains
c'est Terremer d'Ursula K. Le Guin
7.
La texture grumeleuse de Déméter : gestation des
pépins de grenade pendant 9 jours et 9 nuits
les flancs battus de Déméter : en se tassant la terre bouge
mue par cette force d'attraction d'une mère pour son enfant
c'est le seul cas d'errance de la terre (qui normalement
ne peut pas se déplacer) et c'est alors l'hiver quand la
terre
demeure nue désertée de tout spore de vie
La terre Déméter erra pendant neuf jours et neuf nuit à la
recherche de sa fille Perséphone enlevée par le dieu des enfers. Celui-ci, lui
ayant fait manger par ruse des pépins de
grenade, l'avait condamnée à demeurer éternellement sous terre à ses côtés.
Déméter obtint un compromis de la part de Zeus, le dieu des dieux : 6 mois de
l'année, sa fille résidera dans le royaume de son époux - alors sa mère prendra
le deuil et se sera l'hiver. Les 6 mois suivants, Perséphone reviendra sur terre réjouir le cœur de sa mère – alors ce sera le printemps.
au-delà de Déméter l'amour-mère il y a la roche
puis le noyau ignée générant la matière
puis plus loin encore un vieux chinois aux yeux écarquillés
se demandant si nous avons cédé ou non
à la tentation d'appuyer sur le bouton
qui mettra fin à ses jours
Un philosophe du XIXème siècle formula un jour le dilemme
suivant : accepteriez-vous de tuer un
vieux chinois inconnu à l'autre bout de la terre, sans rien faire d'autre qu'un
acte de volonté, comme si vous appuyiez sur un bouton intérieur, pourvu que vous aviez
la certitude que cet forfait irrépréhensible vous procurerait la gloire
et fortune que vous êtes en droit d'attendre de la vie? Le feriez-vous ? La
réponse occidentale parait évidente. Notre vie quotidienne est un
privilège obtenu aux prix du sacrifice de millions d'anonymes là-bas, à l'autre
bout de la terre.
8.
Aujourd'hui je vais parler de l'empreinte
la terre
meuble
pas
seulement la forme
l'ornithorynque-voisin
ne fait rien
il vibre
simplement
ses yeux me
regardent fixement
mais je sens
surtout qu'il se délecte
des
vibrations électriques que j'émets
oscillant la
tête de droite à gauche
il fait le
tri parmi les ondes
saveur flagrance homéostasie masse ondes mais aussi tonus
tout cela
moule l'empreinte
descendu au plus profond de moi
par le
pranayama
je trouve l'empreinte
rougeâtre de
crustacé
d'une pousse de vigne vierge quinquefoliée
scrutée
chaque matin
avec mes
yeux de frais
l'ornithorynque est l'animal le plus silencieux qui soit
quand il
sort de l'onde il émets un grand bruissement
pour chasser
l'eau de ses narines
alors les
peaux recouvrant ses yeux se relèvent
il voit
je sais que la corne des ongles
ne poussent pas avec le soleil
comme on le
prétends
mais qu'elle croit à la rencontre de la terre
pour fouir
pour s'enfoncer dans les profondeurs
les quatre
dents du rat taupier
les
mâchoires de la fourmi
les griffes
de l'oryctérope
les pattes
palmées de l'ornithorynque
la lumière
de la lune
s'enracine
elle aussi
reflétée sur
des dents de requins
figés dans
la roche d'une falaise du crétacée
dans la
forêt imaginaire de Vorrh
pas de blessure dans la terre
pas de
lèvres
matière éminemment tactile
difficilement affectée mais affectant tout
corps vivant
qui l'approche
terre-mort mixture de vie dont le point zéro serait le sable
stérile du désert
l'oméga la tourbière fabuleuse dans laquelle repose la somme
de nos ancêtres
matière contagieuse
germinative
pourvoyeuse de germes en tous genres
en pensée (seulement en pensée)
l'ornithorynque permets que je glisse une main furtive
sur sa fourrure c'est
doux
incroyablement doux cela
me rappelle
la fois où j'ai caressé le cadavre d'une taupe
les femelles
ornithorynque émettent leur lait
par sudation
des pores de la peau
le lait
imprègne les poils de sa fourrure
que les
bébés tètent
les humains dans
leur haine du corps
veulent croire qu'il suffit d'eau et de soleil
pour
que ça pousse
ignorant l'apport essentiel de la terre
saturée de produits chimiques qu'ils y déversent aveuglément
pourtant
si la terre
meure tout meure
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