Sur une performance de danse butô.
1.
Elles ne disparaîtront pas – les formes blanches – et pourtant elles ne parviennent pas à apparaître - à s’incarner
Là-bas – à l’extrême limite de cette terre s’annihilant dans le golfe – le golfe s’annihilant dans la mer – la mer s’annihilant dans…
Les formes blanches - à l’horizon d’un terrain dévalant vers la mer…
Si elles bougent – et elles bougent - ne se touchent – est-ce pour atteindre le surcroît de présence de la fleur sur le point de s’ouvrir - ou bien afin de mieux s’estomper – dissipation d’estampe - dernier petit nuage à l’horizon ?
Dressées – le formes blanches – ostensibles – les formes blanches - elles résistent à la disparition – et pourtant – elles ne persistent pas assez pour pleinement exister
Prémices éperdument dilapidées dans l’ouvert – amorces d’un baiser glissé dans le colimaçon de l’oreille – oh ! – qui est-ce ? – on se retourne… – il n’y a personne ! – les formes blanches – purs phénomènes
Pas de concrétisation. Pas d’histoire. Pas d’échappée.
Elles se dressent – posées dans le vide – à moins qu’elles ne tournent furieusement sur elles-mêmes – telles les épées versicolores des anges postés aux quatre coins du paradis perdu – voiles sans coque – voiles rincées par l’éblouissement de la lumière
Si elles sont nombreuses – non pas isolées, mais seules – les formes blanches - toutes valent pour une – mais aucune ne vaut pour toutes – ni identiques ni différentes – uniques et pourtant perpétuellement interchangeables…
Perpétuellement interchangées…
Telles des billes transparentes – oscillant sur un plateau posé en équilibre sur un doigt – ajoutez-en une nouvelle et aussitôt elles se répartissent différemment – afin que le plateau ne bascule pas…
Ne bascule pas… Du moins, pas tant que… Mais où commence la nuit ? Plus on s’avance dans l’obscur – plus une clarté fragile se fait jour en soi – révélant autant de formes blanches – blotties dans les replis de sa mémoire…
Qu’est-ce qui les fait ainsi s’obstiner au seuil de l’existence ? Qu’est-ce qui les retient ?
Cette clarté diffuse – dans les confins du soir – voilà que cela nous submerge – nous, les spectateurs – restés sur le pourtour – pour regarder – les yeux grands ouverts – voilà que cela nous submerge : ce désir éperdu de les prendre dans nos bras…
Les formes blanches – de les serrer contre soi – une envie folle – bien sûr, on ne peut pas – c’est trop loin – mais cet écart entre l’intime et le distant – c’est justement cela – le cadeau – le punctus – qui fait s’agrandir les yeux infiniment – jusqu’à l’orée des pleurs
Les formes blanches – corps sans mains, sans anus, sans glotte, sans nombrils, sans regards – sémaphores ? – sexes gigantesques dilués dans les écheveaux du vent – qui vient du grand large – envoyant de grands signaux à l’horizon du monde…
Tant de choses (dans nos vies de spectateurs) nous blessent par leur trop de présence – tant de choses – trop réelles – s’enfoncent comme des coins – dans la pâte de nos chairs
Alors – oui – ne serait-ce pour que l’instant d’un soir qui tombe – fondre soi-même dans la lumière désirante – merci pour cela ! – tactile épiphanie - avant d’aller nuitamment récupérer nos habits roulés en boule sous un buisson
– et (ombre parmi les ombres) redevenir - quelqu’un.
2.
Et voilà que soudain un paysage extérieur se transforme en danse
Sous la forme d’un perroquet écrabouillé - fiasco de sang poisseux et de volées de plumes
Et voilà que le territoire connu se trouve investi par une force en présence
Qu’on appelle « soi » à défaut d’autre chose – un flux d’être non jugulé
Une déambulation sans propriétaire – un tuyau d’arrosage que la pression du jet
Fait se tortiller dans l’herbe. On rampe. On se déplace. On chante. On se palpe la jugulaire.
La danse s’invente dans les cernes de l’air. La danse a lieu. On sourit. On cligne des yeux
Par bribes, des lambeaux d’espace tombent entre. On voit des bouts de ciel à travers.
C’est cela le cadeau – c’est cela l’offrande – c’est cela l’erreur – y compris
Le dégoût plombant les yeux comme le pourtour huileux d’une huître
Si le butô ne fait pas d’images ce n’est pas faute de photographes mitraillant
A l’aveugle ce qu’ils ne voient pas – gâchant la proie pour l’ombre
Une série de rendez-vous manqués, en quelque sorte – le « presque-là » des fantômes
La « présence » - et tant pis s’il faut beaucoup de scories accumulées pour y parvenir
Emboités les uns dans les autres comme autant de chambres d’échos
Une petite serviette soigneusement dépliée pour offrir une dînette aux étoiles
Bien sûr cette fois-ci il y eut des livres – et de vieux habits comme des clowns
Si la danse est une éternelle première fois – c’est qu’elle débute toujours au moment
où on l’avait laissé – la dernière fois – que ce soit - celui de notre naissance
celui de notre mort - ou bien - il y a des millénaires – à l’aube du monde
Tant que le livre est grand ouvert c’est qu’on danse – sinon
On
ne fait que bouger. Si l'on danse - les pages vierges du livre se lisent
Dans tous les sens – à l’endroit comme à l’envers – à tort et à travers
Un oracle – touchant quelquefois (rarement) quelqu’un dans la foule
Contribuant à cette mise à nu – car on ne regarde pas cette danse-là
On la ressent. Une personne reçoit soudain quelque chose. On ne sait pas qui c'est
Mais ce qui nous relie alors à elle – à ce moment-là – c’est la danse
Puis soudain une envolée d’impondérables balaye tout sur son passage
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