Sur les passages
Ondée après ondée les nuages filent ventre à terre
la pluie liquéfie le ciel aussi
loin que le regard porte
la terre diluée se distend en un horizon mouvementé
brusques à-coups spasmes
ponctuant le paysage
le vent soulève les
pans de son manteau
où s’engouffrent de
nouvelles salves de pluie
terre gorgée d’eau s’éboulant
sous les semelles
bourrasques glacées saisissant
la gorge et les yeux
balafres démesurées giflant
le visage au passage
on dit « ciels de traîne » mais ce n’est pas tant le ciel qui traîne
que mon esprit immobile à
un endroit du paysage
fuyant sur la ligne de faîte de
l’horizon en cavale
on dit « précipitations » mais les pluies ne se précipitent
pas tant que les pensées au
devant de l’étendue
barbouillée de nuées vidées
de toute substance
pur effet de manche effaçant
les écritures du ciel
de grands jambages des
pleines et des déliées
ligne après ligne ciel et terre en déroute
faillite d'un paysage signifiée par ARRÊTÉS et
INSTANCES éviscérées de
toutes significations
affiches déliquescentes délayées
par les salves de pluie
dans le ventre ça s’éboule dans les yeux ça se dévide
les doigts du ciel écartent
les rideaux de pluie
étageant à l’infini des nombrils remplis d’eau
comment tenir à quoi que ce soit de tangible
quand sous nos pieds dans nos gorges et nos yeux
plus rien ne tient tout
se délite à l’encan
comment s’arrimer dans
ce marasme liquide
comment persister lorsqu’il
n’y a plus d’attache
comment verbaliser ce qui n’a
plus lieu d’être
le sexe intérieur gonflé de brumes et de crachins
blessure révulsée l’enveloppe
part en quenouille
« péninsules démarrées» selon les mots de Rimbaud
être au monde comme un gant se retourne
alors que rien n’instaure ce « je » fait seulement de passages
cet état transitoire cette brassée d'être et de vide
ne rien préempter parvenu aux extrémités du ciel
le cœur disséminé le cœur psalmodiant l'impalpable
épaisse langue de pluie fouissant dans le colimaçon de l'oreille
ne rien préempter mais revenir revenir revenir
réitérer l'arpentage de ces paysages irrésolus
pétris de vent et d’eau intensément
vivant.