La feuille de plantain -
à peine une journée de voyage
pour un escargot.
Hakuin - moine zen, poète et calligraphe
Mi-décembre… Eschatologie de ces temps étranges… Temps d’attente, d’arpentage prospectif... En pensée, je me précipite bille en tête vers toutes ces choses inconnues qui m’attendent... Gourmant de nouveauté, friand de renouvellement de soi... J'anticipe mon avenir proche, mais avec cette hâte sereine d’un escargot adhérent irrévocablement à la matérialité du présent – une autre manière de parler du « sourire du cœur »...
Voilà le méli-mélo de mots qui me viennent spontanément à l’esprit pour qualifier la période transitoire que je vis actuellement, tandis que je passe mes dernières semaines dans ma petite maison du Poitou. J'ai l'étrange impression d’être encore là tout en étant déjà ailleurs, égaré dans une zone indistincte entre un « plus tout à fait ici » et un « pas encore entièrement là-bas »…
Une partie de moi organise, trie, range, fait des piles et même emballe avec enthousiasme ses premiers cartons – on pourrait dire que c'est ma polarité yang, celle qui planifie, décide et agit. Mais une autre partie de moi, la plus vaste sans doute, en tout cas la plus immédiatement accessible (cette part d’indiscernable et d’illimité racinée dans l’enfance), délaisse brusquement toute activité tapageuse pour s’enfoncer dans des rêveries sans fin, à perte d’yeux grands ouverts sur l’ailleurs – s’effilochant mollement dans mon paysage mental comme un panache de fumée grise suspendu par le froid hivernal.
Mes rêves bougent, eux aussi. Je veux dire : les rêves que je fais en dormant. Mes rêves ont commencé à déménager avant moi. Des situations anciennes ressurgissent, avec leurs lots de corps fantômes de personne disparues de ma mémoire depuis longtemps. Je pousse des portes de maisons inconnues, je découvre dans le moindre recoin des enfilades de pièces insoupçonnées, je débouche sur un lac souterrain affleurant dans l’obscurité d’une cave, ou bien un arbre gigantesque faisant craquer la vieille charpente de ma maison, surchargée de tuiles « tiges de bottes »…
Les pieds en chaussettes enfouis dans des boulettes de papier froissé, des cartons pleins de choses d’autrefois grands ouverts tout autour de moi, me revoilà perdu dans mes pensées !
Une nouvelle fringale de tri, de sélection drastique, une nouvelle salve d’envie d’épure et d’allégement me saisit aussitôt… Quand soudain quelque chose me fait signe. Hep ! Pas si vite… Cette histoire de méandres, de lenteur aventureuse… Une échappée belle de l’escargot, avec sa maison sur son dos – la folie en tête et une traînée de poudre d’escampette négligemment jetée en bandoulière… Et si je faisais le pari de l'écrire, au jour le jour, histoire de renouer en bonne amitié tous les fils qui constitue mon écheveau transitoire ?
Ce serait un manière judicieuse de donner de mes nouvelles – à toutes sortes de personnes, vivantes ou non, connues ou inconnues… Celles du passé comme celles du futur. Écrire des textes destinés aux gens qui lisent, bien sûr, mais aussi mes chers « autres qu’humains » qui m’apprennent tous les jours d’autres moyens infiniment subtils de rentrer en contact avec ce qui n'est pas moi. Ou bien encore (c’est la même chose, au fond) - une manière de me donner des nouvelles à moi-même, évidemment. Puisque, lorsqu’on se contemple dans un miroir, que voit-on d’autre que - en enfilade - tous les autres visages que le nôtre ?
Oui, oui ! C’est vraiment une bonne idée. Il ne reste plus qu’à trouver ces écrits du jour le jour. Après quelques moments de réflexion, c’est chose faite. Ce sera : « Méli-mélo d’un escargot buissonnier ». Me voilà tout ragaillardi. L’esprit tranquille, je peux retourner à mes cartons !
Sur une matinée en ville Je me prosterne devant l'épaisse couche de neige qui recouvre ma voiture ce matin, je me prosterne devant le j...