Sur le recouvrement de soi à soi :
Ce qui a lieu ici, jour après jour, dans cette nouvelle maison où je vis, c’est – non pas un repli sur soi comme je le craignais (projetant devant moi cette appréhension, comme une ombre cernant ma quiétude actuelle, ombre il est vrai de plus en plus courte au fil des jours qui ne cessent de s'allonger) – mais au contraire un dé-pli, une ouverture et un recouvrement de soi à soi. Une actualisation, pourrait-on dire - même si dans le domaine de la nature véritable de l’esprit, il n’y a rien qui ne soit déjà existant à soi-même.
C’est comme si, courant le long d’un long couloir, en me projetant toujours au-devant de moi-même, je m’étais enfin atteint – comme s'il y avait une coexistence entre le potentiel de moi-même et le réalisé.
Pourtant, il n’est pas exact de dire que j’ai (enfin ?) la vie que j’ai toujours rêvé d’avoir – parce que, justement, cette vie, je ne l’avais pas rêvé – je la découvre plutôt. C’est parce que je la découvre, jour après jour, heures après heures et instants après instant, que je peux ainsi la reconnaitre pour ce qu’elle est véritablement : un accomplissement. A chaque nouveau grain de texture de mon expérience de vie, je me dis « oui, bien sûr – c’est exactement cela ». S’il devait y avoir un mouvement de l’une à l’autre de ces expériences, il serait plutôt récessif – c’est la vie que je mène ici qui me fait réaliser qu'il y avait, enfouie en moi, cette aspiration confuse et informulée (informulable ?) à la vie qui aujourd'hui est la mienne.
Bien sûr, je parle de bonheur – mais ce n’est pas le bonheur tel qu’on le conçoit d'habitude, un état de bien-être exempt de peine. Ne serait-ce parce qu’entre la vie à laquelle j’aspirais sans même le savoir et la vie réalisée qui se déploie actuellement, révélant progressivement la parfaite correspondance de l’une et de l’autre – se trouve une couche de solitude isolant ces deux modalités d’être – et là, encore, je dois préciser qu'il ne s'agit pas d'une solitude dans le sens ordinaire du terme, mais d’un sentiment déchirant de vacuité - sentiment qui n’est au fond supportable que lorsque je suis seul face à moi-même, parce qu'alors je peux complètement m’y abandonner.
Il en est ainsi de certains évènements du passé, qui ne semblent trouver la maturation de leur véritable nature que rétroactivement – dans ce mode d’être particulier que j’appelle « le potentiel du présent ».
Lorsque, le soir, après une journée chaude, je vais nager dans le lac, juste avant que le soleil ne bascule derrière la crête des sapins, alors qu'il n'y a plus aucune ride à sa surface (à part les quelques remous provoqués par le saut isolé de poissons gobant leur repas du soir) - et que je glisse lentement dans cet espace vide, tandis que la lumière dans le ciel semble s’intensifier vers les hauteurs et que les rives sombres du lac s’éloignent de moi – il y a alors une équivalence entre le calme irréel de cet instant de bascule crépusculaire et la transparence de mon cœur-esprit intégralement décanté - comme s’il n’y avait plus de miroir, comme si la peau faisant la jonction entre le dedans et le dehors s’était abolie dans l’apaisement du monde.
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